Patxi est en quatrième. Ce matin, le stylet du tableau numérique n’obéit plus à son professeur de français. Patxi est responsable technique de sa classe. Son enseignante se tourne donc naturellement vers lui. Il lui faut à quelques minutes pour recalibrer le tableau numérique. Il est assez fier et son enseignante bien  soulagée. Elle va pouvoir poursuivre cours dans de meilleures conditions.

Patxi a appris cette manipulation lors de la formation des responsables techniques du collège. Il prend maintenant sa tablette et, à partir d’iTunes U, rédige un post sur son livret de maintenance  numérique. Il a pour mission d’y inscrire chacune de ses interventions et chacune des pannes observées dans la classe. Le responsable maintenance du collège reçoit, de  son  côté , une notification sur son téléphone. Il peut ainsi répondre à Patxi ou intervenir en cas de besoin.

Patxi n’est pas le seul à exercer une responsabilité dans sa classe. Il y a les deux traditionnels délégués de classe, mais aussi des délégués cantines, des médiateurs, un veilleur, des reporters et des preneurs d’image. Seule la mission d’ambassadeur du tri cherche encore son responsable ….

L’urgence éducative de former des citoyens

Dans son domaine 3, la formation de la personne et du citoyen, le socle commun pose les ambitions d’une éducation à la responsabilité, au sens de l’engagement et de l’initiative.

Mais le constat est douloureux. Les occasions sont bien peu nombreuses pour les collégiens de prendre des responsabilités. Quelques rares privilégiés sont délégués de classe, entre 6 et 10% chaque année. On y retrouve en partie les mêmes élèves d’une année sur l’autre, ce qui limite le nombre d’adolescents qui vivent cette expérience. Et cette unique proposition ne rejoint pas les centres d’intérêt de tous les collégiens. Quelques autres projets, comme des voyages scolaires, donnent l’opportunité, quand les enseignants la saisisse, de leur donner des responsabilités, souvent ponctuelles.

Éduquer par l’action

Convaincus comme les rédacteurs du socle de l’urgence de cette éducation à la responsabilité, nous avons réfléchi et élaboré une proposition pour y répondre. Plusieurs convictions l’ont structurée.

1. La responsabilité ne s’enseigne pas, elle s’apprend par l’action, par l’expérience.
2. Paradoxalement, il faut prendre des responsabilités pour devenir responsable, et non pas l’inverse : attendre d’être responsable pour prendre des responsabilités.
3. La vie du collège est un formidable vivier pour prendre des responsabilités par laquelle nous pouvons aider les adolescents à vivre des expériences fondatrices.

En 2015-2016, deux responsabilités sont expérimentées, amenées par les événements. A l’occasion de la marche de rentrée nous lançons à chaque classe le défi de monter une action de solidarité. Deux veilleurs par classe sont identifiés. Ils sont chargés de stimuler leurs camarades sur le projet de solidarité. Leur mission est également de collecter et de consigner dans le livre des défis, les merveilles quotidiennes vécues par la classe : réconciliations après une dispute, accueil d’un nouveau, place faite à un élève isolé… Nous les réunissons une fois entre chaque vacance pour faire le point avec eux.

Par ailleurs, nous observons que certains élèves sont toujours volontaires pour aider leurs enseignants devant les difficultés techniques récurrentes qui se présentent dans les classes avec le matériel numérique. Nous proposons donc à deux élèves d’assurer la mission de responsable technique, selon des prérogatives succintes partagées avec toute la communauté éducative.

Prendre de vraies responsabilités

Cette expérimentation a fait naître le désir d’aller plus. Si cette éducation à la responsabilité doit rester non formelle, son institutionnalisation doit permettre à chaque jeune de se sentir davantage reconnu et aux adultes de mieux suivre et évaluer les progrès de chacun.

Voici les incontournables repérés pour un déploiement efficace de cette proposition :

• Les responsabilités proposées doivent être diverses et multiples pour donner à tous les collégiens volontaires une réelle opportunité de s’investir et pour rejoindre une large palette de leurs centres d’intérêt.
• Ces responsabilités doivent avoir une réelle utilité au service de la classe ou du collège. Pas de responsabilité pour de faux.
• Elles doivent aussi ouvrir un espace d’autonomie, de prise d’initiative pour ceux qui les exercent. Pas d’élèves exécutant des tâches prédéfinies.
• Ces missions sont prises pour un temps défini et sur la base du volontariat.
• Un adulte référent accompagne l’ensemble des collégiens qui exercent la même responsabilité. C’est l’occasion d’associer formellement des personnels de maintenance, d’entretien et de vie scolaire, respectant ainsi l’esprit de l’actuel EMC.

Ce projet s’inspire explicitement de la pratique du scoutisme. Mais les aficionados de la pédagogie institutionnelle devraient normalement y retrouver également leurs petits.

Une palette de 8 responsabilités au choix

Nous proposons ainsi 8 missions dans chaque classe :

• des délégué(e)s de classe : pour représenter les élèves de la classe aux conseils de classe et aux conseils des délégués.
• des délégué(e)s cantine : pour contribuer à l’amélioration de la cantine et de la pause méridienne.
• des veilleuses et des veilleurs : pour valoriser ce qui est vécu de positif dans la classe et au collège et pour initier des actions de solidarité.
• des médiatrices et médiateurs : pour aider à la gestion des conflits entre élèves.
• des ambassadrices et ambassadeurs du tri : pour contribuer à une prise de conscience collective des enjeux du tri sélectif.
• des responsables techniques : pour assurer une maintenance de premier niveau et aider les utilisateurs du matériel audiovisuel.
• des reporters : pour rédiger des articles sur les projets de la classe et du collège à diffuser dans la lettre numérique de l’établissement.
• des preneuses et preneurs d’images : pour filmer et photographier la vie de la classe et du collège et ainsi illustrer les articles des  reporters.

Vous pouvez lire ici ici le document de présentation aux élèves du projet et des missions. Et ici le document cadre travaillé et communiqué à tous les professionnels du collège.

Point étape à 6 mois

A la moitié de la première année le démarrage est plutôt encourageant.

• Les élèves ont bien accueilli ces propositions. Toutes les missions ont trouvé des candidats. La moins choisie est Ambassadeurs du tri. Seuls trois sixièmes ont pris cette responsabilité. Cela nous fait penser qu’il faudra au minimum transformer l’appellation de la mission en Eco-ambassadeur l’année prochaine. Les veilleurs ne sont pas non plus pléthores. Par contre les candidats pour être reporters et preneurs d’images ont été trop nombreux, nécessitant des arbitrages.
• L’accueil des adultes a été positif sur le fond, mais dans un premier temps les professeurs principaux ont craint une surcharge de travail. La répartition des rôles entre eux et les personnes référentes les a rassurés (voir le document cadre).
• La formation des médiateurs, qui est la plus lourde de toute (15h en 4ème – 3ème et 10h en 6ème – 5ème) est assurée par une intervenante extérieure qui assure cette même mission dans un autre collège. Toutes les autres formations assurées en interne sont également lancées ou terminées. Seuls les reporters et les preneurs d’image n’ont pas encore été pris en charge par leur adulte référent. Leur formation va démarrer fin janvier 2017.
• La mise en place et l’accompagnement des adultes référents demande une attention particulière. Leur mission est assez différente des postures habituellement investies  par les professionnels du collège. Ils sont appelés ici à accompagner les élèves et non pas à transmettre un savoir ou à encadrer une activité définie .

A cette étape on sent bien que nous aurons besoin de deux ou trois années pour inscrire pleinement ce projet dans le paysage du collège. D’autres missions pourront être ajoutées au menu quand les 8 premières seront bien installées.

Par son caractère décalé ce projet participera certainement un peu à l’évolution des pratiques professionnelles de chacun. Dans tous les cas, les premiers retours des élèves exerçant une responsabilité sont très positifs. Mais tout reste à confirmer.

Affaire à suivre…

Les liens de l’article:

• L’éducation non formelle
• Le document de présentation du projet aux élèves
• Le document cadre du projet