Allumer un feu
Éduquer ça n’est pas remplir un seau sot, mais allumer un feu
William Butler Yeats
Creuser, approfondir, discerner, repositionner une expérience dans un contexte. Boucler une réflexion globale sur une action locale.
- Que pensez-vous d’un homme politique qui milite pour le respect de la dignité de tous les êtres vivants et qui porte régulièrement des propos sexistes et insultants ? Son discours fait-il autorité ?
- Que pensez-vous d’un chef d’entreprise qui augmente son salaire de 20% et qui gèle celui de ses employés en leur demandant de faire un effort pour passer la période difficile ? Sa gouvernance fait-elle autorité ?
- Que pensez-vous d’un bureau de contrôle qui clame son indépendance et que l’on découvre financé par les industriels qu’il est sensé contrôler ? Son expertise fera-t-elle autorité ?
La cohérence fait autorité
Il en va de même des personnes et des institutions. Leur autorité dépend de leur crédibilité qui est elle-même complètement liée à leur cohérence. Pour un même pouvoir reçu, deux institutions ou deux personnes n’auront pas la même autorité. Deux parents ont le même pouvoir, ils n’ont pas nécessairement la même autorité. Certains parents font autorité, d’autres pas. Certaines instituions font autorité, d’autres pas. (Je vous conseille sur le sujet la conférence de Jean-Marie Petitclerc à Bayonne le 4 décembre 2015 à Anglet)
Dans la congruence, un principe de gouvernance j’ai développé l’idée que l’efficacité d’une institution éducative était liée à sa congruence. J’ajoute ici que la congruence est également un levier incontournable pour lui permettre de faire autorité. Etre efficace, faire autorité, pour ces deux enjeux, la recherche de cohérence me semble donc devoir être une obsession pour l’équipe de direction d’une organisation éducative. Elle doit se mettre en chasse de toutes les incohérences, comme on piste un gibier sauvage. Un gibier qui connaît parfaitement son environnement et qui s’y cache à merveille. L’équipe de direction doit développer son nez d’homme des bois qui repère un animal à 50 mètres, là où tout un chacun ne voit que végétation ordinaire. Mais un impératif s’impose à elle. Avant de se mettre en chasse des incohérences des autres elle doit traquer les siennes, avant d’aller chasser sur le terrain des autres, elle doit commencer le ménage chez elle… question de congruence bien sûr
Je vous accorde que la figure du chasseur n’est pas très… cohérente avec celle de l’éducateur. Je lui préférais donc l’image de Pinocchio qui écoute son Jiminy Cricket. Il lui chante tous les jours sa petite chanson. Ses conseils l’aident à regarder les choses autrement, à prendre les bonnes décisions et à conduire au mieux son action.
Le Jiminy Cricket de l’équipe de direction
Ce Jiminy Cricket de la cohérence est pour moi comme une conscience professionnelle omniprésente, une petite musique incessante : Ce que nous faisons vivre à nos équipes est-il cohérent avec notre projet ? Mais comme souvent nos projets sont chargés des mots valises assez peu concrets, cette chanson se transforme au quotidien en : Ce que je nous faisons vivre à nos équipes est-il cohérent avec ce que nous souhaitons qu’elles fassent vivre aux enfants qui nous sont confiés ?
Bien sûr, il ne s’agit pas de les infantiliser, de les mettre en situation d’élèves. Nous ne devons pas chercher à calquer nos pratiques sur celles que nous souhaiterions voir. Il s’agit de mettre en accord nos paroles, nos actes, nos attitudes, avec l’esprit de ce que nous souhaitons pour les enfants, pas avec sa lettre.
C’est avant tout la lucidité qui est sollicitée dans cette attitude intérieure. Par exemple, que provoque sur l’équipe enseignante notre manière d’accompagner leurs projets ? Quel impact nos réunions ont sur l’équipe des salariés ?
Un filtre à injonctions
Tel Pinocchio, l’équipe de direction d’une structure éducative est soumise à de nombreuses injonctions plus ou moins douces, plus ou moins explicites, plus ou moins cohérentes entre elles. Pris dans les fils de ces injonctions, l’équipe à parfois la sensation de n’être qu’une roue de transmission sans beaucoup plus d’autonomie qu’une marionnette. Ces fils peuvent tenir de la culture de l’administration, de celle du monde de l’entreprise, ou de représentations toutes faites qui viennent d’un autre temps. C’est dans ce flot d’injonctions plus ou moins séduisantes que la petite chanson de Jiminy cricket est indispensable. Quel sont les conseils que j’écoute, les injonctions que j’aménage, les représentations à qui je tords le cou ?
« La conscience, c’est cette tranquille petite voix que personne ne veut entendre »
Jiminy Cricket, dans Pinocchio
L’exemple du management par une grande claque dans la gueule
Une illustration : le concept de management par une grande claque dans la gueule. Réservée à ceux qui ne rentrent pas dans le rang, il est encore très présent dans nombre de structures salariées. Le principe est simple. Quelqu’un qui ne veut pas comprendre les explications, qui s’oppose à son manageur, qui revendique, se voit administrer une grande claque managériale dans la figure. Dans le cas d’un enseignant de collège il s’agira de lui faire un emploi du temps « pourri », de ne jamais rebondir sur ses propositions, de le saquer sur sa note administrative… pour le faire rentrer dans le rang ou changer de collège. Si, si, je vous assure, ça existe encore beaucoup et pas seulement dans les établissements scolaires, loin s’en faut.
Devant un tel conseil que dit notre Jiminy Cricket : Est-ce de cette manière que je souhaite que les enseignants traitent les élèves qui posent des problèmes de discipline ? Si la réponse du chef d’établissement est oui, il a raison d’appliquer ce conseil. Si, comme moi, il trouve cette méthode aux antipodes de ce qu’il souhaite pour les élèves, il doit renvoyer les conseilleurs dans leurs buts et chercher le chemin étroit de l’accompagnement qui conjugue exigence et bienveillance.
L’exemple de la note administrative
Un deuxième exemple tout aussi réel : il concerne la note administrative annuelle que le chef d’établissement attribue à chaque enseignant de son établissement. Chaque année le chef d’établissement reçoit des services du rectorat une circulaire de 12 pages, accompagnée d’une annexe elle aussi de 12 pages. Sur 24 pages, 12 détaillent l’utilisation de l’application internet dédiée, 8 la grille de notation et 3 le calendrier, l’introduction, les politesses… À peine ½ page est consacrée aux appréciations, le fond du message se réduisant à :
critère A : ponctualité et assiduité, critère B : activité et efficacité, critère C : autorité et rayonnement.
Enfin, 2/3 d’une page sont consacrées à l’information des enseignants, avec une seule phrase clef : « L’élaboration de la proposition de la note administrative constitue un moment privilégié d’échanges entre le chef d’établissement et les maitres qui peut aboutir, notamment pour les nouveaux enseignants, à un entretien. »
Cet exemple est plus complexe mais la musique de Jiminy Cricket ne change pas : Est-ce de cette manière que je souhaite que les enseignants évaluent les élèves ? Si la réponse est oui, il suffit de s’en tenir aux obligations très administrative de la circulaire. Si, comme nos projets le disent, on aspire à une évaluation des élèves qui les associe, qui s’appuie sur des critères précis et compréhensibles et qui est l’occasion d’une relation avec eux, alors il faut aménager ces injonctions administratives qui s’impose au chef d’établissement. Il est possible par exemple de proposer une autoévaluation qui s’appuie sur la grille des trois critères administratifs mais qui les détaille et les enrichit comme certains centres de formation le proposent (ici une proposition de l’ARES). Cette autoévaluation peut être ensuite le point de départ d’un entretien proposé systématiquement à chacun.
Nous avons vu dans ces deux exemples comment passer chacun des conseils et des injonctions reçus par une équipe de direction au feu de la musique de Jiminy Cricket. Cette lucidité doit s’exercer en priorité sur les pratiques de l’équipe de direction. Elle doit bien sûr se porter aussi sur les incohérences des professionnelles de l’institution en charge des enfants. Mais la chasse est une activité dangereuse, surtout quand on la pratique sur le terrain des autres. Braconner les incohérences de ses collaborateurs est assez spontané et populaire chez tous les manageurs. Mais un accident de chasse est très vite arrivé. Un mauvais tir et vous tuez votre autorité.
Je vous propose de voir dans un troisième article comment Jiminy Cricket prône une méthode plus douce.
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