Allumer un feu
Éduquer ça n’est pas remplir un seau sot, mais allumer un feu
William Butler Yeats
Décortiquer, analyser une situation, un projet. Revenir en arrière pour relire les réussites et les échecs. En extraire les fruits pour mieux les partager. Les prénoms et les noms ont été modifier.
Aujourd’hui, veille des vacances de Noël, comme chaque année le collège partage un temps fort à l’église. Chaque classe a travaillé pendant la semaine des slogans autour de la fraternité. Maintenant ils sont proclamés dans l’église avant d’être accrochés à l’Arbre de la Fraternité. Ce jeune olivier sera planté dans la cour et une fresque sera bientôt peinte par les 4ème avec les slogans écrits par chaque classe. Deux éléments dans le quotidien des élèves qui marqueront la volonté du collège de tenir d’une même main sa réalité interculturelle et son ambition de fraternité.
Comme pour chaque célébration, nous sommes accueillis à l’église par le curé de la paroisse qui accompagne le groupe scolaire comme aumônier. Il souhaite la bienvenue à chacun et tout particulièrement aux non-croyants et à ceux qui ne partagent pas la foi des chrétiens. Avant qu’il ne fasse le signe de croix qui invite les chrétiens à entrer dans un temps de prière, j’invite Malik à un geste particulier, l’appel à la prière des muezzins. Malik est musulman pratiquant. Il est en 6ème. Pas très rassuré, il commence quand même en quelques mots à expliquer que si musulmans et chrétiens nous sommes différents, nous sommes tous des frères. Devant ses camarades, il se tourne vers l’Est, en direction de la Mecque, et entonne l’appel à la prière en arabe. Tout le monde l’écoute dans un grand silence. Le prêtre, lui aussi, s’est tourné vers l’Est, en direction de la croix et de la Résurrection. Le geste courageux de Malik se termine par des applaudissements nourris qui expriment le respect que sa démarche impose. Le prêtre reprend en soulignant que ce beau moment partagé dans nos différences est chargé de sens et de fraternité. Regarder dans la même direction c’est déjà commencer à bâtir un avenir ensemble. La célébration se poursuit avec des temps de partage pour tous et des temps de prière, plus destinés aux chrétiens, sur le thème de la naissance de Jésus qui fait de nous des frères.
Quel est le cheminement qui nous a conduits là ? Il y a un an seulement, Malik ne voulait pas entrer dans une église.
Malik est arrivé en CE2 à l’école. D’origine marocaine, sa mère musulmane, porte le voile. Elle habite de l’autre côté de la frontière, avec son fils. Et comme beaucoup de nouveaux arrivants francophones en Pays Basque sud, elle préfère que son fils approfondisse le français plutôt que de le lancer dans l’apprentissage de la langue basque, passage obligé dans les écoles de Gipuzkoa. Elle l’inscrit donc à l’école catholique, juste de l’autre coté de la frontière. Malik et sa maman fréquentent régulièrement la mosquée de la ville. Malgré plusieurs discussions avec la directrice, elle ne souhaite pas que son fils participe aux temps forts de l’école qui se vivent dans l’église. Contrairement aux autres musulmans de l’école, Malik est absent ces jours- là.
En janvier 2015, Malik est en CM2. Suite aux attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper-Cacher, l’école organise un temps de silence pour tous et propose à ceux qui le souhaitent un temps de prière. Proposé par une école catholique, le temps de prière est explicitement chrétien même s’il est ouvert à tous. Spontanément, Malik et un autre copain musulman demandent à la directrice s’il peuvent avoir une salle pour prier tous les deux. Elle leur donne accès à son bureau. Les deux temps de prière se déroulent donc en parallèle.
En septembre 2015, Malik arrive en 6ème. Une fois par semaine, il participe avec sa classe a l’heure de culture chrétienne et religieuse. Les animateurs s’appuient sur le parcours Kim et Noé culture. Il découvre les éléments de la culture chrétienne mais aussi de l’Islam, du Judaïsme et du Boudhisme. Malik se montre très participatif. Il connait très bien sa religion mais aussi le christianisme. Il est très enthousiaste à l’idée d’expliquer l’Islam. Indéniablement il se sent reconnu. Son attitude est très positive et participative quelle que soit le religion étudiée.
Fin septembre, la marche de rentrée réunissant tout le collège se termine dans l’église. Malik est présent. Il participe activement à la marche et aux discussions. Il entre dans l’église avec ses camarades sans que cela ne pose apparemment de problème.
Quelques semaines plus tard, en concertation avec l’enseignante d’histoire, je lui demande un contact pour pouvoir visiter avec les 5èmes, la mosquée qu’il fréquente. La fondation de l’Islam est au programme d’histoire de 5ème. Dès le lendemain, j’ai les coordonnées de l’imam !
« Entre chrétiens et musulmans, nous sommes frères et nous devons nous comporter comme tels. » Pape François
Le 13 novembre, des attentats sauvages secouent de nouveau la France. Nous organisons une nouvelle fois un temps de silence pour tous. L’écoute et le silence sont d’une belle solennité. J’invite explicitement les non chrétiens à se joindre au temps de prière que nous proposons (lire La minute de silence de Malik). Malik vient me voir pour savoir s’il peut venir. Je lui confirme mon invitation et j’ajoute que, s’il le souhaite, il pourra prier en tant que musulman après la prière chrétienne que nous avons prévue. Il me dit qu’il prie en arabe et qu’il a toute une gestuelle à effectuer durant la prière. Je lui répond que cela ne pose nullement problème, si lui est d’accord pour prier devant tout le monde. La prière se déroule comme prévue. Après le signe de croix conclusif, Malik s’avance à mon invitation. Il explique ce qu’il va faire puis pas très rassuré il prie devant tous ses camarades chrétiens. Son témoignage est d’une rare intensité. Il réussit même à conclure en expliquant que la paix est un des messages importants de cette prière quotidienne musulmane, ce qui prouve que les terroristes ne sont pas des musulmans. Les applaudissements nourris et les quelques larmes dans les yeux des adultes nous confortent dans notre démarche et montrent à Malik que son courage a porté des fruits.
Quelques jours plus tard, la préparation de la célébration de Noël est l’occasion d’un pas de plus dans le témoignage de fraternité qui, cette fois-ci, peut se faire devant tous les élèves et les adultes du collège. Malik accepte assez facilement de « chanter » l’appel à la prière de muezzin.
Malik a pris confiance en lui mais surtout dans le collectif. Ce cheminement pas à pas est intéressant à analyser. C’est parce que Malik s’est senti reconnu comme musulman que ses craintes sont tombées. Non seulement on l’a laissé exprimer sa singularité de musulman mais on lui a collectivement exprimé qu’elle nous intéressait, qu’elle était source de richesses à partager.
Les fruits de l’automne :
- Les jeunes musulmans du collège se sentent à leur place, dignes d’intérêt y compris dans leur dimension religieuse.
- Pour les jeunes chrétiens et les jeunes non croyants, témoins d’un camarade musulman en prière, l’Islam aura moins de risque d’être diabolisé comme une religion étrangère, inconnue, dont il faut se méfier. Elle prend peu à peu le visage d’un camarade de classe pacifique.
- La confiance que Malik a acquise du haut de ses 11 ans pourra s’ancrer en lui. La ressource qu’il a su trouver en lui pour témoigner devant tous ses camarades et l’accueil que ces derniers lui ont témoigné seront des appuis précieux pour fonder cette confiance.
- Tout le monde, jeunes et adultes, a consolidé son expérience que chrétiens et musulmans ont beaucoup de choses à partager, tout particulièrement un esprit de fraternité. Sans tout mélanger, sans syncrétisme religieux, nous pouvons vivre nos religions comme des ponts qui relient et non pas comme des bombes qui font exploser le lien social.
Mais l’hiver peut balayer d’un coup de gel tous les fruits de l’automne. Nous devrons continuer à prendre soin de notre arbre de la fraternité.
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