Allumer un feu

Éduquer ça n’est pas remplir un seau sot, mais allumer un feu

William Butler Yeats

Pas de laïcité sans expression possible de l’altérité

par | 19 Fév 2016

Creuser, approfondir, discerner, repositionner une expérience dans un contexte. Boucler une réflexion globale sur une action locale.

Les débats vont bon train en France sur la laïcité depuis quelques mois, quelques années. Ils nous appellent à prendre position en tant qu’éducateur.
Deux visions s’affrontent aujourd’hui en France.
Une première position défend l’idée que le principe de séparation des religions et de l’Etat limite la place de ces religions à la sphère privée.
Pour les tenants de la deuxième vision, outre la séparation des religions et de l’Etat, la laïcité garantit la coexistence pacifique de toutes les croyances et la liberté d’expression de toutes les convictions dans l’espace public, dans le respect de l’ordre public. (Voir l’article du Point du 12/01/2016 sur les règlements de comptes à l’Observatoire de la laïcité)

Un cadre juridique pour coexister
La laïcité est d’abord un cadre juridique. Il est donc logique de prendre position dans le débat par cette porte d’entrée en étudiant la loi de 1905. On peut considérer que la première vision de la laïcité glisse du devoir de neutralité de l’Etat face aux religions, à une neutralité de la société toute entière. Comme l’explique très bien Jean Baubérot, fondateur de la sociologie de la laïcité, « le combat pour la défense des valeurs de la France laïque glisse peu à peu vers la négation de la religion. Notamment chez ceux à qui l’islam fait peur. » (Lire son interview complet du 06/02/2015 dans l’Express). « La loi de 1905 garantit la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, ainsi que la non-discrimination et l’égalité des citoyens devant la loi, quelle que soit leur religion. Voilà les deux finalités majeures de la laïcité, qui pose, comme moyen pour y parvenir, la séparation des Eglises et de l’Etat, vu comme un arbitre, neutre. La loi énonce que la religion n’est pas affaire d’Etat. Cela ne veut pas dire qu’elle soit reléguée à la sphère privée, contrairement à l’interprétation qui se répand depuis des années, produisant une confusion et un glissement fallacieux. »

Mais on peut aussi entrer dans le débat par la porte de l’éducation.
Deux principes éducatifs me semblent disqualifier une version de la laïcité qui refuserait de prendre en compte la dimension spirituelle et religieuse de l’Homme.

 

Pas de laïcité sans expression possible de l'altérité

 

Puce chercher des balises Pas d’éducation à l’altérité sans expérience de l’altérité
Le premier est lié à la finalité même de l’éducation à la laïcité. Éduquer à la laïcité c’est éduquer au pluralisme religieux et convictionnel. Il s’agit d’aider chaque enfant de la République à considérer le pluralisme de conviction comme une réalité à respecter ou mieux comme une richesse à cultiver qui alimente l’identité nationale. Mais cet apprentissage est du domaine du savoir être. Les savoirs être ne s’enseignent pas. Ils s’acquièrent par l’expérience et la relecture de cette expérience. Comment imaginer dès lors que dans un espace où toute expression religieuse est interdite, on puisse faire l’expérience que le pluralisme est positif ? L’education hors-sol est un contre sens en matière de savoir être.
Cette obligation de neutralité dans l’espace collectif exprime un message en creux : vos différences religieuses sont un danger, les faire disparaître est une nécessité pour garantir la paix et le vivre ensemble. Les messages non verbaux sont parfois assourdissants. Est-ce ce message que l’on veut transmettre ?

Puce chercher des balises Pas d’éducation sans reconnaissance bienveillante
Le deuxième de ces principes tient dans l’expression : on ne peut faire grandir que ceux que l’on respecte. Pas d’éducation sans prise en compte, sans reconnaissance de l’identité de chacun. Le prêt-à-porter est une impasse en éducation. Seul le sur-mesure permet de grandir de façon équilibrée. C’est une vision dangereuse et totalement contre productive de penser que la négation de la culture, l’identité, la singularité d’un enfant lui permettra de s’ouvrir à une culture commune.
Faisons un pas de côté : imaginons l’injonction faite à un jeune de laisser son accent au vestiaire, en dehors de l’école. Cette obligation génèrera deux attitudes possibles. Soit la soumission, avec son corollaire qui est la honte portée sur cette part de lui-même, soit la rébellion avec son corollaire qui est le sur-investissement de cette part de son identité et la volonté de l’imposer à tous.
Faut-il le laisser faire des fautes de Français à chaque phrase pour respecter son accent ? Non.
Faut-il lui demander de gommer toutes traces de cet accent dans son expression pour assurer une unité de langage ? Non plus.
Demander à un jeune qui vit sa dimension religieuse comme une part importante de son identité, de la ranger dans son sac sans jamais pouvoir la sortir, c’est prendre le risque d’avoir à gérer des revendications déplacées et des provocations identitaires. Le manque de reconnaissance se traduit malheureusement très souvent par une violence qui se porte sur ceux qui sont responsables de la vie collective.

La lutte contre l’intégrisme est une urgence. On ne peut laisser massacrer nos libertés sans réagir fermement. Mais ne nous trompons pas d’arme. Ne laissons pas Daesh gagner le combat des idées. Ils veulent nous enfermer dans une pensée binaire qui réduit la complexité du monde et de la vie à des simplismes. Ils tentent de transmettre par la peur, leur vision d’un monde où le pluralisme serait une impasse. Face au terrorisme, face à la violence pure, seule la radicalité d’une fraternité sincère et active est une réponse éducative à la hauteur.
C’est au creux de vies assoiffées d’absolu et vides de sens que le chant des sirènes djihâdistes trouve un écho. La laïcité porteuse d’une neutralité publique des religions ne pourra jamais remplir le vide dans lequel s’installe l’extrémisme. La fraternité porte autant les couleurs de la République que celles des grandes religions, en particulier du christianisme. Cette idéal de fraternité peut rejoindre les aspirations profondes d’une jeunesse en mal de reconnaissance. Encore faut-il qu’elle se sente appelée et respectée dans toutes les facettes de son identité.

La suite de l’exploration…
Porteuses à la fois de la tradition républicaine et catholique, les Ecole catholique offrent aujourd’hui un espace original d’éducation à la laïcité.
Le prochain article de l’exploration : les écoles catholiques, laboratoires de laïcité

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